« Le premier mai, le temps d'aimer »

 

Les Tchèques donnent traditionnellement une couleur festive au premier jour du « mois des fleurs » (květen), fêtant les jeunes filles en fleurs et l'amour. L'occasion de revenir sur le chantre romantique de la République Tchèque : Karel Hynek Mácha.

Portraits de futurs diplômés de la Maturita (baccalauréat tchèque) fleurissant dans les vitrines des villes, rythmes de Majáles (l'historique fête estudiantine) retentissant déjà entre les jupes des filles, et arbres de mai érigés par les célibataires : si le printemps est universel, il semble décidément très florissant en République Tchèque.

C'était la fin d'un soir de mai / Le premier mai, le temps d'aimer. » Ces premiers vers du poème de Karel Hynek Mácha sont en effet ici un classique pour ce jour où les hommes se doivent d'embrasser les jeunes filles sous les cerisiers en fleurs. « Oui, bien sûr qu'on le fait. On doit le faire ! » s'exclame Marek, étudiant en économie à Ostrava et presque surpris qu'on lui pose une telle question. « Sinon la jeune fille se dessèche et meurt», explique-t-il encore.

Cerisiers et morts-vivants : contraste typiquement tchèque ?

Le célèbre poème, connu pour être l'un des textes fondateurs de la langue tchèque, ne déclame pourtant pas que l'amour. Centré autour de la peine de Guillaume, sorte de Robin des Bois condamnée à mort pour avoir tué son père (un amant concurrent de sa bien-aimée), le chant de Mácha peint le clair-obscur de l'âme romantique dans tous ses méandres : amour, mort et vanité du temps.

Des contrastes entre renouveau et destruction que l'on peut lire un peu plus tard dans Le Lai de l'Amour et de la Mort du poète autrichien Rainer Maria Rilke. Considéré comme une figure du patrimoine littéraire germanophone, ce dernier possède en réalité des racines tchèques, ayant baigné dans la même Bohême que son alter ego Mácha. 

Et il semble que la couleur actuelle de notre romantisme n'ait pas encore complètement l'ancien empire austro-hongrois : dans les rues parsemées de pétales de fleurs odorants, vous aurez sûrement remarqué ces étudiants déguisés en zombies et autres personnages horrifiques. Un néophyte y verrait probablement l'étrange association de la fête d'Halloween et de la Saint-Valentin, mais il s'agit avant tout des traditions païennes perpétuées en paroles et en actes.

Au-delà de cette association singulière dans son apparat contemporain, rappelons que le poème de Mácha, drame d'un amour mort dans sa fleur de l'âge, est finalement aussi métaphore de la peine des amours adolescentes : « Et le temps d'aujourd'hui / Mon adolescence est ce poème de mai, / [...] une peine profonde au cœur », clame-t-il à l'issue des quatre chants qui composent son œuvre.

Et ceci n'a rien de culturellement spécifique car, comme le chantait Bourvil de manière moins dramatique, « joli, joli mois de mais, une de perdues, dix de retrouvées ! » En attendant, ce poème sur l'âme romantique fait plutôt les tourments des étudiants tchèques qui doivent l'analyser pour les futures épreuves de la Maturita avant d'aller pouvoir conter fleurette à Majáles ou sous un arbre de mai, verre de bière en main. 

Agnès André

Photo : Tchéquie Matin